PROBLEME DE JEUNES FILLES:

L'ABANDON PRECOCE DES ETUDES AU COURS MOYEN.

 

NTRODUCTION: Le droit à l'éducation inscrit dans la constitution du Sénégal permet à toutes les populations du pays d'être initiées, formées et encadrées sans distinction de sexe, race, de religion dans les structures scolaires publiques. Ce système fondé sur la mixité de l'effectif accueille au même titre garçons et filles. Cependant, malgré cette égalité en droit le sexe masculin demeure de loin plus important que celui des filles. D'ailleurs l'Etat aujourd'hui en constatant ce déséquilibre développe la politique de scolarisation des filles (SCOFI ). En choisissant un thème de discussion avec les clubs EVF dans le cadre de la stratégie ACACIA nous voulons faire ressortir la faiblesse du taux de scolarisation des filles et par ricochet analyser les différents facteurs qui poussent les filles à quitter très tôt l'école. Le cas de la promotion de jeunes filles ayant fréquenté le CEM Ababacar Sy entre 1995 et 1999 est à nos yeux assez révélateur. Il nous permet de saisir le cursus de ces élèves, de cerner le lot de sanctions ou d'impondérables dont sont l'objet certaines d'entre elles et enfin d'avoir un bref aperçu sur les raisons de leur départ de l'école.

  1. LE DEFICIT DE SCOLARISATION DES FILLES.
  2. Au Sénégal le droit à l'éducation est accordé à toutes les populations et un service public très important est entretenu pour les besoins de la cause. L'Etat développe beaucoup de stratégies pour satisfaire une demande de plus en plus croissante d'autant plus que la population est très jeune (57,7% ). Dans cette tranche de 0 à 20 ans les filles bien que majoritaires sont les moins scolarisées. En 1988 la proportion des filles de 7 à 12 ans fréquentant l'école était de 36% ( 51% pour les garçons ) et dans la même lancée le taux d'analphabétisme ( est considérée analphabète toute personne de six ans et plus ne sachant ni lire ni écrire dans une langue quelconque ) dans la tranche de 15 à 19 ans était aussi plus prononcée chez les filles 70,2% ( 48,6 pour les garçons) [source RGPH 88].

    Dans le département de Tivaouane ce déséquilibre est réel. En 1995 une enquête de la SCOFI ( stratégie gouvernementale sur la Scolarisation des Filles ) révèle que sur 23.200 élèves il n'y avait que 9.752 filles soit 42,03% contre 13.448 garçons. Les mêmes proportions sont signalées dans la commune de Tivaouane: 7.596 élèves dont 3.564 filles soit 46,95% contre 4.032 garçons. Ainsi au plan national, départemental, communal le constat est le même: on remarque la faiblesse de la scolarisation des filles. Cette faiblesse trouve ses explications dans les facteurs démographique, socioculturel et des fois économique.

    Les populations ne percevant pas l'intérêt de l'instruction, les préjugés défavorables sur l'école "française" et le poids de la tradition rendent plus difficile la scolarisation des filles. L'éducation religieuse absente de l'école, la conception traditionaliste confine la fille aux travaux domestiques surtout que le cadre scolaire est considéré comme un lieu de déviation, de perdition. La volonté parentale aidant la fille est alors la cible des valeurs traditionnelles: mariage précoce, femme au foyer etc… La lunette déformante d'une classe sociale peu instruite, souvent pauvre ( notamment en milieu rural ) fait revêtir à l'école des habits très étroits: l'école n'est plus un moyen de promotion sociale. Le coût financier élevé de la scolarité hors de portée de certaines populations, les issues incertaines n'encouragent pas à la scolarisation notamment celle des jeunes filles. Ces difficultés conjuguées aux statut conjoncturel des familles poussent les filles à rester davantage en dehors de l'école à la recherche de l'argent ( bonne, vendeuse en bordure de route, gérante de maison…). D'ailleurs le département de Tivaouane voit sa population féminine aspirée par le flux migratoire vers Thiès, Mbour, Dakar et même Touba. Cet aspect démographique a son pesant dans la faiblesse de la scolarisation des filles.

    Aujourd'hui malgré l'action des GIE pour une volonté plus exprimée de changement de comportement des femmes ( ex: alphabétisation ), pour une promotion sociale et politique du sexe féminin, malgré l'engagement de la Scofi qui cherche à mobiliser, à démultiplier l'information pour accroître le nombre des filles à l'école, les demoiselles rencontrent d'autres types de problèmes dans le cours moyen. Minoritaire dès leur arrivée elles sont le plus souvent victimes d'abandon, d'exclusion…

  3. EVOLUTION D'UNE PROMOTION DE JEUNES FILLES AU CEM ABABACAR SY

Après ce bref aperçu sur le déficit de scolarisation des filles nous avons jugé nécessaire d'étudier le profil d'évolution d'une promotion de jeunes filles ayant fréquenté le collège Ababacar Sy de 1995 à 1999 soit 4 ans d'études. L'objectif étant de percevoir le cursus (régulier ou irrégulier ) des filles et éventuellement de saisir le cure d'amaigrissement subi par l'effectif par application de sanctions scolaires ou sur décision personnelle des disciples.

D'emblée nous avons constaté que le déséquilibre est omniprésent. Au niveau des classes de sixième sur 404 élèves inscrits au CEM Ababacar Sy en 1995-1996 on avait un effectif de 127 filles ( soit 31,43% ) dont 22 redoublantes et 105 admises à l'entrée en 6ème .

Le cursus de cette promotion entre 1995 et 1999 a été marqué par une réduction en nombre très importante grâce au concours de plusieurs facteurs.

Au total après trois ans de scolarité ( 1995-98 ), 29 filles avaient définitivement quitté le collège, soit environ 22,83% de l'effectif de la promotion 95-96.

Après vérification en 1998-99, quatrième année de la promotion il ne restait plus que 98 filles sur les 127 soit 77,17%. Selon les niveaux elles sont réparties comme suit:

Le constat que nous tirons est que sur un effectif de 127 élèves il n'y a eu, au terme de quatre années d'études, que 19 diplômées du BFEM ( soit 14,96 % ) et 15 ayant réussi à accéder au secondaire ou lycée en 1999-2000 (soit 11,81%).

La faiblesse de ces pourcentages atteste bien les difficultés chez les filles à poursuivre normalement les études surtout dans l'Enseignement Moyen. Ainsi en plus des 15 qui sont effectivement au lycée on compte 09 élèves en classe de quatrième ( dont 03 passantes de la cinquième et 06 redoublantes de la quatrième ); 41 élèves en classe de troisième ( dont 17 passantes de la quatrième et 24 redoublantes de la troisième ). En somme en 1999-2000 il y a environ 65 élèves encore actives soit 51,18% de l'effectif de la promotion. Le reste étant sacrifié sur l'autel des exclusions avec le premier lot de 29 élèves ( 1995-98 ) et le deuxième groupe de 33 exclues (dont 02 en cinquième, 22 en quatrième et 09 en troisième) en 1998-99 soit au total 62 élèves exclues ( 48,82% ). Notons que parmi ces exclues certaines poursuivent leurs études dans le privé.

En tirant le bilan de cette analyse nous pouvons reconnaître que près des 2/3 des filles ayant accédé à la classe de sixième de l'Enseignement Moyen ont connu des entorses durant leurs études et que près de la moitié a déjà fait ses adieux au cycle moyen de l'école publique. Par conséquent à la faiblesse de la scolarisation des filles s'ajoutent d'autres maux non moins importants qui poussent très tôt les futures mamans, ménagères ou autres vers la sortie prématurée.

  1. LES CAUSES DE L'ABANDON PRECOCE DES ETUDES CHEZ LES FILLES.

Les deux premières parties du développement sont assez édifiantes pour nous prouver que les élèves filles accèdent difficilement à l'école mais aussi qu'elles sont le plus souvent victimes d'impondérables ou de facteurs bloquants dans le déroulement de leur cursus. Dans notre approche nous serons très bref en recueillant les sentiments des élèves et en faisant un répertoire sommaire des causes, ceci pour permettre aux participants au forum de nous livrer par la suite leurs idées.

  1. La parole aux élèves

Après enquête au niveau des élèves et surtout des filles leur complicité nous a permis de cerner de manière plus objective nombre de problèmes.

Awa Ibra Mbodj classe de 3e : pour ce thème, j'ai compté sur des amies qui ont abandonné l'école pour des causes différentes.

Ndiaw Ngom classe de 5e : Ce problème ainsi posé est un sujet d'ordre social. De nos jours la plupart des jeunes filles ont tendance à abandonner leurs études et surtout au cours moyen. Qu' est ce qui en est la cause ? La jeune fille ayant son entrée en sixième entre 13 et 15 ans qui coïncide avec l'âge de la puberté a tendance à se considérer comme quelqu'une qui est responsable de ses actes. Pour elle, une nouvelle vie commence. Il faut donc montrer aux gens qu'on est branchée, belle et charmante. Pour cela elle va attirer une bonne partie des jeunes garçons qui lui courent après. Et avec eux, elle va avoir des relations et par conséquent elle ne travaille plus à l'école. Elle a de mauvaises notes, se décourage et abandonne les études. Pour certaines filles "matérialistes" il leur faut des habits, des chaussures etc… leurs parents n'ont rien. Donc elles vont s'adonner à d'autres préoccupations… et laisser tomber les études. Certaines filles pensent que les études sont une perte de temps, il leur faut donc un mari et elles abandonnent les études. Certaines filles par contre veulent étudier mais elles ne sont pas dans de bonnes conditions familiales. Il faut essayer de changer une certaine mentalité qui veut que "pour la fille, les études n'ont aucune importance". Je pense cela est dépassé, il faut évoluer avec le temps.

Faba Kane classe de 5eM1E : Un jour, j'ai rendu visite à une amie qui a vécu ce genre de problème: l'abandon de l'école. Je lui pose des quantités de questions:

Elle aussi, me répond :

l'abandon de l'école m'avait fait beaucoup de soucis. Mes parents n'étaient pas des intellectuels pour me conseiller, ils étaient analphabètes et pauvres. Moi j'étais obligée de voler ou de trouver un petit ami. En une journée, beaucoup de garçons venaient me rendre visite. Et finalement je suis tombée enceinte. Mes parents, mes amies…tous m'ont abandonnée, je suis obligée de faire l'exode rural. Pour moi c'est une nouvelle vie qui commence. La jeune fille quand elle abandonnait était en classe de CM², aujourd'hui elle a 16-17 ans.

Abdou Khadre Wade 5eM1D : Il y a beaucoup de raisons qui provoquent l'abandon des études pour les élèves filles. Par exemple Fatim avant d'aller à l'école le matin prépare le petit déjeuner pour ses frères. A la descente de l'école elle va directement au marché avec ses bagages. Elle achète le nécessaire et retourne à la maison pour préparer le repas. Sa mère est dans la maison matin et soir et ne fait rien d'autre que s'occuper de sa toilette. Fatim a été obligé d'abandonner l'école.

Seynabou Sy Niang 3 Mixte : De nos jours l'abandon des études par les filles est très fréquent et notoire dans l'enseignement moyen.

Certains préjugés attestent que la fille, future mère, doit rester à la maison pour mieux s'occuper de sa future famille, la fille n'est pas faite pour l'école. Elle doit être une femme d'intérieur. De l'autre côté il ya des idées fixistes disant que les études sont longues, les fournitures chères, et parfois elles sont vaines. L'école est l'ennemi de la tradition, l'école méprise le travail domestique, l'école est étrangère à la société.

En effet toutes ces pensées font qu'en général les filles ne font pas des études très poussées.

Mame Fama Dondé 5e M1E : Cette élève, M.D., était une très bonne élève mais aussi très belle. Elle occupait presque à chaque composition la première ou la deuxième place. Mais avec le manque de moyens de ses parents, le manque d'encadrement et le manque de passion pour ses études, associés à ses penchants à caractère sexuel, elle avait poussé des ailes. Elle s'était sentie maintenant fille et s'amourachait des garçons à l'école comme dans le quartier. La voie à l'adultère était ouverte. A la fin de cette année elle avait fait le BFEM et avait échoué. Elle avait abandonné les études définitivement mais maintenant elle regrette énormément.

Babacar Samb classe de 5e : la place de la femme a toujours été en Afrique celle de la femme au foyer. Cette discrimination si on peut l'appeler ainsi a eu des effets néfastes sur la scolarisation des jeunes filles surtout au Sénégal . Donc l'une des causes les plus importantes est le manque de responsabilisation et le vouloir faire de la femme une subordonnée constitue un frein dans la scolarisation des jeunes filles. Une vieille conception de la femme dans la société traditionnelle fait que la jeune fille ne doit savoir que faire la cuisine et faire des enfants. Contrairement à la conception occidentale où l'instruction des jeunes filles est très suivie et très respectée.

En Occident il n'y a pas de différences entre garçons et filles au niveau de l'instruction. De ce fait pour que l'Afrique sorte de son obscurantisme et que la jeune fille puisse jouir des mêmes droits que le garçon au niveau de l'instruction et de l'éducation , nous devons bannir cette conception traditionnelle qui est : la femme au foyer. Toutes les jeunes filles doivent être instruites à un pied d'égalité que les jeunes garçons parce qu'étant elles-mêmes le pilier de tout processus de développement.

  1. Essai de classification des causes de l'abandon.

Au terme de cette étude nous éprouvons beaucoup de difficultés pour faire une classification. Les sentiments livrés par les élèves nous permettent cependant de retenir un certain nombre d'éléments:

Nous vous donnons ici une esquisse des causes de l'abandon des études par les filles. Elle n'est ni exhaustive ni définitive et il appartient au membres du forum de faire des propositions afin de nous permettre de dégager un tableau plus cohérent.

CONCLUSION: L'étude que nous proposons n'est en réalité qu'un des multiples aspects qui assaillent une part importante mais aussi déterminante de la société sénégalaise: les jeunes filles. Le plus souvent considérées comme le "sexe faible" les femmes sont en effet comme bâillonnées dans une société à double vitesse où tradition et modernisme ne font pas toujours bon ménage. Le conservatisme des uns les confinent dans un emballage de considérations leur réservant toujours les rôles d'obéissance, de servitude voire "d'objet". Par ailleurs le miroir d'émancipation proposé par les autres les conduisent vers une mue imparfaite d'où le lot de ratés, de responsabilisation limitée et d'ambition interrompue. La femme à bas âge, nous voulons dire la jeune fille, est alors écartelée entre les valeurs traditionnelles et les feux follées de l'école. Ce tiraillement est en grande partie à l'origine de l'échec, de l'abandon que nous avons remarqué au niveau de l'enseignement moyen au Sénégal. Les jeunes filles sont alors une cible à la portée de tous et de toutes les tentations et comme les fleurs elles se fanent très vite. De la décision imposée par les autres à l'acte volontaire commise par elles-mêmes en passant par les nombreux aléas, les obstacles à la scolarisation ne manquent pas. La durée des études chez les filles étant souvent très courte ou même inachevée, le taux de réussite est par conséquent très réduit. L'exemple de la promotion de filles du CEM Ababacar Sy le démontre très bien. Ainsi nous pouvons réfléchir sur la part réservée à la femme dans nos société, pour ne pas dire la place qu'elle occupe, au moment ou on parle de parité homme - femme. Les causes de l'abandon des études par les filles devront aussi nous pousser à voir de plus près leurs conséquences au niveau scolaire, familial et social.

 

 

 

Papa Ousseynou Diongue

PRT Coordonnateur- EVF

CEM Ababacar SY Tivaouane geepabs@ucad.refer.sn

Podiong EVF Absy Tiv. fév.2000