Les sensations qui nous donnent
une perception réelle de la distance
1°)
L’accommodation de l’oeil.
Il
est hors de doute qu’une personne qui a beaucoup étudié les variations de
son accommodation et qui connaît la sensation de l’effort musculaire
qu’exigent ces changements, est à même de dire si elle accommode pour une
distance grande ou petite, au moment où elle fixe un objet ou une image
optique. Mais l’évaluation de la distance, à l’aide de ce moyen, est
excessivement imparfaite.
2°)
La comparaison des images perspectives que présente
un objet lorsqu’on le regarde sous des points de vue différents.
Ce
mode de comparaison peut se pratiquer de deux manières soit monoculairement, en
déplaçant la tête et le corps, soit binoculairement, à l’aide des deux
images différentes que le même objet fournit simultanément aux deux yeux.
Comme les deux yeux occupent une position un peu différente dans l’espace,
ils voient aussi sous des points de vue un peu différents, les objets placés
devant nous et les images qu’ils reçoivent de ces objets présentent, par
suite, la même différence que les images successives que recevrait le même
oeil en se déplaçant d’une quantité correspondante dans l’espace. Lorsque
nous nous déplaçons, les objets qui sont immobiles restent en arrière ; ils
paraissent glisser devant nous dans le champ visuel, en suivant une direction
opposée à celle de notre mouvement. La même chose se produit, mais plus
lentement, pour les objets éloignés, tandis que les objets très éloignés,
conservent une position invariable dans le champ de vision, tant que nous ne
changeons pas la direction de notre corps et de notre tête. Il est facile de
voir que, lorsque nous nous déplaçons, la vitesse angulaire apparente des
objets dans le champ visuel est inversement proportionnelle à leur distance véritable;
de sorte que la vitesse du mouvement apparent peut permettre de tirer des
conclusions certaines relative à la distance réelle. Les objets situés à des
distances différentes présentent également un mouvement relatif apparent.
Ceux qui sont les plus éloignés paraissent se déplacer, par rapport aux
autres, dans le même sens que l’observateur; les plus rapprochés paraissent
se déplacer en sens opposé. Il résulte de là une notion très nette de la
différence de distance. C’est principalement à l’aide des modifications
imprimées à l’image rétinienne par les mouvements du corps, que les
personnes borgnes peuvent acquérir des notions exactes sur les formes solides
des objets qui les entourent. Si nous regardons monoculairement des objets irréguliers
et inconnus, la représentation que nous obtenons de leur forme est fausse, ou
tout au moins incertaine. Mais aussitôt que nous nous déplaçons, nous
obtenons une notion exacte. Il ne faut donc pas oublier ce point, sur lequel on
n’a pas encore toujours porté toute l’attention nécessaire dans toutes les
expériences d’optique physiologique où il s’agit d’apprécier la
distance d’une image ou d’un objet vu d’une manière quelconque, il faut
avoir bien soin de ne pas déplacer la tête par rapport à l’objet il en résulterait
aussitôt une détermination relativement assez bonne et assez exacte de la
distance véritable, à l’aide des déplacements apparents ainsi produits.
3°)
L’usage simultané des deux yeux.
Les
modifications de l’image rétinienne par suite du mouvement ne nous indiquent
les différences de distance qu’à l’aide de la comparaison que nous établissons
entre l’image actuelle et celles qui l’ont immédiatement précédée dans
l’oeil, et dont nous avons conservé le souvenir. Une comparaison est bien
plus incertaine lorsqu’elle se fait à l’aide de la mémoire que quand elle
a pour objet deux sensations simultanées. C’est pour ce motif que l’appréciation
des distances à l’aide des images simultanées des deux yeux est bien plus
complète, plus sûre et plus exacte que celle qu’on peut obtenir par des
mouvements de la tête tels que leur amplitude n’excède guère la distance
qui sépare les deux yeux. Chaque oeil nous présente une image perspective des
objets situés devant nous. Mais comme les deux yeux n’occupent pas la même
position dans l’espace et que, par suite, ils regardent les objets sous des
points de vue un peu différents, il en résulte que les deux images
perspectives qu’ils en projettent, diffèrent aussi légèrement entre elles.
Ces différences sont du même genre et de la même valeur que celles qui se
produisent lorsqu’on regarde le champ de vision avec un oeil, en déplaçant
cet oeil d’une distance égale à l’intervalle des deux yeux. Ainsi, tandis
que la vision monoculaire, avec immobilité de la tête, ne détermine que la
direction sur laquelle se trouve le point perçu, la vision binoculaire donne
des faits d’observation suffisants pour déterminer de plus la distance de ce
point, au moins au tant que les données obtenues présentent une exactitude
suffisante et qu’il en est fait un usage convenable. En général,
l’exactitude de la détermination de la distance est d’autant moindre que
cette distance est elle-même plus grande, puisque les objets très éloignés
ne donnent plus d’images sensiblement différentes dans les deux yeux.
On
acquiert, par ce moyen, des notions sensuelles de distance excessivement exactes
et nettes. C’est ce que l’on peut démontrer à l’aide des images qui représentent
les deux aspects que produit un objet dans les deux yeux d’un observateur.
Si
l’on regarde, un objet représenté par un tableau ou un dessin plan, les deux
yeux reçoivent absolument la même image rétinienne, tandis que si l'on
observe l’objet lui même en volume dans la réalité, il produirait nécessairement
des images rétiniennes différentes dans les deux yeux.
Nous
ayons vu qu’une seule image plane, vue avec les deux yeux, doit produire
constamment une impression autre que la vue de l’objet même qu’elle représente.
Mais si nous montrons à chaque oeil une image différente à chacun celle qui
s’y présenterait à l’aspect de l’objet lui-même, nous sommes à même
de produire, sur les deux rétines, la même impression que produirait réellement
l’objet à trois dimensions; aussi les deux images nous donnent-elles, dans
ces conditions, la même notion corporelle que l’objet lui-même.
Ainsi,
les deux images qui doivent produire un effet de relief, doivent répondre à
deux perspectives différentes du même objet, prises à des points de vue différents.
Elles ne peuvent donc pas être pareilles, il faut, au contraire que, comparées
avec celles des points infiniment éloignés, les images des points rapprochés
soient d’autant plus à gauche, dans le dessin destiné à l’oeil droit, et
d’autant plus à droite dans celui destiné à l’oeil gauche, que les objets
eux-mêmes sont plus rapprochés de l’observateur. Si l'on se figure donc les
dessins superposés de telle sorte que les images des points infiniment éloignés
coïncident entre elles, les images des objets rapprochés seront d’autant
plus écartées que ces objets sont plus voisins. On peut donner à cette
distance le nom de parallaxe stéréoscopique. Cette parallaxe est positive si
les points considérés sont déviés à gauche pour l’oeil droit et à droite
pour l’oeil gauche. La parallaxe stéréoscopique offre la même valeur pour
tous les objets qui sont à la même distance du plan du dessin.
Si
le dessin ne représente pas de points infiniment éloignés, on ne peut déterminer
que les différences de la parallaxe stéréoscopique par rapport à un point
quelconque de l’objet. La parallaxe par rapport à ce point de départ est
alors positive pour les autres points plus rapprochés, et négative pour les
points plus éloignés