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Les résultats de notre expérience sur la nature particulière des objets que nous voyons

Nous avons à étudier ici tout ce que nous pouvons distinguer, par rapport à la troisième dimension du champ visuel, lorsque nous regardons d’un seul oeil, et sans déplacer la tête, des objets qui sont assez éloignés ou assez peu nets pour que leur observation ne demande aucun effort sensible d’accommodation. Les éléments que nous utilisons dans ces conditions sont d’abord la connaissance préalable de la grandeur des objets, puis celle de leur forme, connaissances auxquelles viennent s’ajouter la distribution de l’ombre et le degré de transparence de l’air interposé.

Le même objet, vu à des distances différentes, donne des image rétiniennes de différentes grandeurs et se présente sous des angles visuels différents. Plus il est éloigné, plus l’angle visuel sous lequel il se présente est petit. nous pouvons apprécier la distance à laquelle se trouve un objet de grandeur connue, d’après la grandeur de l’angle visuel ou, ce qui revient au même, d’après celle de l’image rétinienne.

A la connaissance de la grandeur s’ajoute, dans un grand nombre de cas, celle de la forme des objets, surtout dans les cas où ils se masquent partiellement. Lorsque nous voyons, par exemple, deux objets dont l’un cache en partie l’autre, nous en concluons que le premier est en avant du second. Même lorsque leur forme nous est absolument inconnue, il suffit, le plus souvent, de remarquer que le profil de l’objet antérieur se continue sans interruption après avoir rencontré celui de l’objet postérieur, pour les distinguer l’un de l’autre.

Dans un grand nombre de cas, il suffit de savoir ou de présumer que l’objet perçu possède une forme d’une certaine régularité, pour arriver à une interprétation corporelle exacte de l’image perspective que nous offre, soit l’objet, soit un dessin qui le représente. Lorsque nous voyons des objets connus, nous pouvons admettre que leurs angles sont droits et que leurs surfaces sont planes, cylindriques ou sphériques. Cela suffit pour qu’un dessin en perspective nous permette de nous former une notion exacte de ces objets. Nous en comprenons sans difficulté et nous en interprétons correctement le dessin perspectif, alors même qu’il représente des détails très compliqués. Si les ombres sont exactement reproduites, l’aperçu en devient encore plus facile.

Quand on regarde ces objets connus, formés principalement de parallélépipèdes rectangulaires, de surfaces cylindriques et sphériques, en s’en rapprochant suffisamment pour que les parties antérieures se présentent sur la rétine à une échelle notablement plus grande que les parties postérieures, la représentation perspective exacte qu’on en obtient ne permet, en général, qu’une seule interprétation, et il est facile de reconnaître la position plus ou moins reculée des différentes parties. Mais si le point de vue est très éloigné ou si les objets ne présentent qu’ un très faible relief, l’interprétation peut devenir indécise.

On peut observer des effets analogues sur un grand nombre de dessins linéaires perspectifs, ceux, par exemple, qui représentent des corps réguliers, en projection géométrique (c’est-à-dire vus d’un point infiniment éloigné). Le même bord ou angle peut paraître tantôt rentrant, tantôt saillant. Souvent la représentation change spontanément, représentation que l’on peut toujours modifier volontairement lorsqu’on se représente vivement une autre interprétation.

De ces observations se rapprochent celles qu’on a faites sur le renversement apparent du relief des moules ou empreintes, mais où s’ajoute l’influence de l’ombre. Si l’on place le moule creux de manière qu’il soit éclairé sous une incidence oblique par la lumière du jour, ce qui produit des ombres bien marquées, en le regardant avec un oeil, il arrive facilement qu’on croit voir un modèle en relief du moule ou de l'empreinte. Lorsqu’on regarde le moule binoculairement, l’illusion cesse le plus souvent. Il en est de même lorsqu’on déplace la tête ou l’objet l’illusion se produit d’autant plus facilement que l’oeil et l’objet sont plus immobiles. De plus, un relief éclairé sous une incidence aussi oblique devrait projeter, sur le fond plan, une ombre portée notable qui fait naturellement défaut sur le moule vu en relief. Il résulte de là, une sorte d’éclairage magique du relief; qui semble venir du dedans. S’il est, en général, bien plus difficile de voir des reliefs remplacés par des creux, cela tiens du fait à ce que les reliefs présentent ordinairement quelques ombres portées qui empêchent de prendre leurs convexités pour des formes concaves.

Les ombres portées présentent une importance plus grande encore que les variations que subit l’éclairage des faces d’un corps avec leur inclinaison par rapport aux rayons incidents. Lorsque nous voyons une surface éclairée, le corps éclairant doit se trouver en avant de cette surface, et si elle reçoit une ombre portée, il faut que le corps qui projette cette ombre soit également placé en avant de cette surface. Il résulte donc de là un rapport géométrique déterminé entre le corps qui projette l’ombre et la surface qui la reçoit. Nous commençons à voir, à propos des phénomènes pseudoscopiques, combien est décisif le rôle des ombres portées dans l’interprétation des phénomènes visuels

L’éclairage nous fournit encore une autre donnée pour apprécier les distances, et surtout celles des objets éloignés, ce que l’on appelle la perspective aérienne. On comprend sous cette dénomination l’obscurcissement et le changement de couleur que les images d’objets éloignés subissent par le fait de la transparence incomplète des couches d’air qui séparent ces objets de l’observateur. Plus la couche d’air est épaisse entre l’oeil de l’observateur et l’objet éloigné, plus la coloration de cet objet se modifie, soit en bleu, lorsqu’il est plus sombre, soit en rouge, lorsqu’il est plus clair que la couche d’air interposée.

Les moyens que nous avons vus jusqu’ici et qui servent à l’appréciation de la troisième dimension, présentent également de l’intérêt et de l’importance au point de vue psychologique, parce que leur examen nous ont donné l’occasion de voir quelle est l’influence de l’expérience sur nos perceptions sensuelles, qu’on aurait pu croire acquises d’une manière immédiate et sans le concours d’aucune action psychique. Nous ne pouvons avoir appris que par l’expérience les lois si variées de l’éclairage, de l’ombre portée, de la perspective aérienne, de la formation et de l’échelonnement des perspectives géométriques des différents corps, celles dont la formation demande une longue habitude et ne s’acquièrent que longtemps après la naissance. Et cependant ces données suffisent, dans un grand nombre de circonstances, pour éveiller en nous des notions parfaitement vives, et comme sensuelles, des formes et des conditions d’espace, sans que nous ayons aucunement conscience du rôle que vient jouer la comparaison entre l’impression actuelle et les impressions préalables et analogues. Ces associations de représentations sont aussi inconscientes qu’involontaires; bien que leur production soit soumise aux lois de notre esprit, elles s’imposent comme par une force naturelle aveugle; elles paraissent le faire au même titre que les impressions venant actuellement du dehors, et, conséquent, tout ce que ces associations d’idées, fondées sur les expériences préalables, ajoutent à nos sensations du moment, se présente à nous, tout aussi bien que ces sensations elles-mêmes, comme immédiatement donné, sans intervention active de notre part: les résultats ainsi obtenus ne paraissent donc pas se distinguer de la perception directe, tandis qu’en réalité, ce ne sont que des représentations, dans la pure acception que nous avons attribuée à ce mot.

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